Analyse Josep Casulleras Nualart
Source : VILAWEB 22.11.2020
https://www.vilaweb.cat/noticies/suplicatori-puigdemont-comin-ponsati-analisi/
Les eurodéputés espagnols se sont précipités pour prendre une place dans une commission parlementaire cruciale pour l’immunité des exilés catalans.
L’eurodéputé qui a entre ses mains une grande partie de la décision concernant l’immunité des trois parlementaires, élus par plus d’un million de citoyens, est un ultra-conservateur au discours homophobe et xénophobe. Le bulgare Angel Dzhambazki, a fait en plus, au moins deux choses importantes lundi 16 novembre : dans la matinée, il a prononcé le premier discours devant la Commission des Affaires Juridiques du Parlement Européen présentant le cas de la demande de levée de l’immunité parlementaire de Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí. C’est lui qui devra faire le rapport sur lequel la commission devra voter, proposant soit de retirer l’immunité aux 3 eurodéputés, comme la Cour suprême espagnole le demande, ou bien de la maintenir. En soirée, Dzhambazki lançait, depuis la fenêtre du bâtiment de son parti, le Mouvement national bulgare, des pétards sur les manifestants qui protestaient contre la corruption du gouvernement dont son parti fait partie. Les images on impacté en Bulgarie. Un eurodéputé qui attaquait les manifestants avec des pétards et qui les arrosait avec un tuyau d’eau !
Le 7 décembre Angel Dzhambazki devra donc écouter les allégations de Puigdemont, Comín et Ponsatí; il devra réviser la nombreuse documentation que leurs avocats ont soumis à la commission pour démontrer qu’il s’agit d’un cas de persécution politique plein d’irrégularités ; ainsi il devra prendre note des interventions qu’il y aura dans le débat entre les vingt-cinq membres de la commission sur le bien- fondé d’accepter cette procédure ; il devra aussi prononcer et élaborer une proposition argumentée. Lui, Dzhambazki, qui a participé à un événement de Vox dans le Parlement Européen en mars 2019 sous le titre « Catalogne, une région espagnole ». Un événement qui a eu lieu peu de temps après que le Parlement européen interdise une conférence du président Puigdemont et du président Torra.
Le député européen ultra-conservateur bulgare Angel Dzhambazki.
Deux autres incidents controversés figurent sur le curriculum vitae de Dzhambazki en tant que député européen : en décembre de l’année dernière, il a été arrêté alors qu’il conduisait ivre, dépassant le taux d’alcoolémie autorisé en Bulgarie, et un an plus tôt, en novembre 2018, il a été arrêté à l’aéroport de Sofia parce qu’il voyageait avec une arme à feu. Le fait que le rapport sur la procédure contre Puigdemont lui ait été attribué est dû, en partie, à un facteur aléatoire : l’eurodéputé responsable de la commission est nommé par un système de rotation entre les groupes de la dite commission, qui, dans ce cas correspondait à un membre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), qui s’est avéré être Angel Dzhambazki. Cela est aussi dû au fait que parmi les incompatibilités pour un député européen à assumer une telle responsabilité, ne figurent pas le fait qu’il ait des positions ou des attitudes politiques anti-démocratiques qui attentent de manière flagrante contre les droits fondamentaux ou qui montrent un positionnement politique clairement opposée à celui des députés concernés par la demande de levée de l’immunité parlementaire. Les incompatibilités prévues dans le règlement intérieur du Parlement européen sont seulement que le rapporteur fasse partie du même groupe que celui du député européen pour qui la levée de l’immunité est demandée et qu’il n’ait pas la même nationalité.
Manon Aubry aurait pu prendre en charge le cas de Ponsati…… ou de Comín
Mais pourquoi Dzhambazki est-il en charge du rapport des trois eurodéputés ? La défense des eurodéputés catalans allègue qu’une telle décision qu’un seul orateur soit chargé de résoudre chaque cas porte atteinte aux trois eurodéputés; cela porte particulièrement tort à Clara Ponsatí, car elle n’est pas accusée de détournement de fonds publics à différence de Puigdemont et de Comín . Mais la vérité est qu’il existe un précédent dans lequel un seul rapporteur a été en charge de la procédure de levée de l’immunité contre plusieurs députés européens pour la même affaire. Et curieusement, la dernière fois que cela s’est produit, c’était en 2018 avec Angel Dzhambazki comme rapporteur, pour le retrait de l’immunité de trois députés du parti d’extrême droite grec Aube Dorée. Dans cette affaire, Eleftherios Synadinos, Georgios Epitideios et Lampros Fountoulis ont été privés de leur immunité par le Parlement européen afin qu’ils puissent être jugés dans leur pays pour la violation de décisions judiciaires antérieures à leur encontre. Dzhambazki produisit des rapports complètement aseptiques, sans développer le moindre argument, comme c’est le cas pour d’autres rapports dans d’autres procédures.
D’abord,, sont arrivées, les demandes de la Cour suprême espagnole contre Puigdemont et Comín. La présidente de la Commission des Affaires Juridiques, qui était à l’époque la britannique Lucy Nethsingha (Renew Europe) et les coordinateurs des groupes parlementaires de la commission (Marie Toussaint des Verts-ALE, Axel Voss du PPE, Tiemo Wölken, de S&D) n’ont pas jugé nécessaire de diviser la procédure en deux rapports, et les cas de Puigdemont et de Comín ont été attribués à l’eurodéputé bulgare d’extrême droite. Puis, avec la mise en place du Brexit et la reconfiguration des organes du Parlement Européen suite au départ des députés britanniques, l’Espagnol de Ciudadanos, Adrián Vázquez du groupe Renew Europe aussi, a assumé le poste de président de la commission. A ce moment, Clara Ponsatí est entrée en tant que nouvelle eurodéputée. Ils n’ont pas considéré non plus, que sa cause devait être portée par un autre rapporteur, bien que son dossier soit arrivé plus tard et qu’elle ne soit pas accusée de détournement de fonds publics.
La leader de la Gauche unitaire européenne, Manon Aubry.
Que serait-il passé si l’affaire de Ponsatí avait été séparée et qu’un nouvel rapporteur l’avait prise en charge ? Clara Ponsati aurait eu, du fait du système rotatif de distribution des rapports, la députée européenne de la France Insoumise, Manon Aubry, leader de la Gauche Unitaire Européenne. Aubry a critiqué la répression espagnole contre l’indépendantisme catalan, et s’est toujours prononcée en faveur de la reconnaissance de Junqueras, Puigdemont et Comín en tant que députés européens lorsqu’ils ont été privés de ce statut, et a critiqué le rôle de l’UE dans le conflit catalan. Dans une interview accordée à l’ANC il y a un an, elle avait déclaré : « La direction que prend l’Espagne avec l’affaire catalane est très dangereuse. Dans une démocratie, les choses se résolvent par le vote. Ce n’est pas normal que trois élus ne puissent pas siéger au Parlement Européen ou que des personnes soient condamnées à tant d’années de prison pour avoir convoqué un référendum. »
Quel ton aurait eu le rapport d’Aubry sur la levée de l’immunité de Ponsatí ? Ou de Toni Comín, si les trois procédures avaient été portées par trois rapporteurs différents ? Quelle approche différente de la question et quelle évaluation des preuves et des droits en jeu auraient-ils été faits, par rapport à ce que pourra faire Angel Dzhambazki ? C’est là l’arme principale de la Cour suprême espagnole pour se voir accorder les pétitions qu’elle demande : le rapporteur. Et aussi l’importante présence de députés espagnols dans cette commission, non seulement pour voter en faveur de ce que Dzhambazki pourrait proposer, mais aussi pour influencer le vote des autres députés.
Le jeu de la chaise des eurodéputés espagnols
Dans cette commission il y a une des plus élevées proportions de députés espagnols par rapport au nombre total de membres. Au début de la législature c’est une commission qui n’est généralement pas l’une des préférées des eurodéputés. Lorsque celle-ci a commencé, et prévoyant que des questions importantes sur les eurodéputés indépendantistes pourraient être discutées au sein de cette commission, les partis espagnols y ont rapidement pris des positions. Mais c’est surtout après le Brexit, avec la reconfiguration des organes du Parlement européen à la suite du départ des députés britanniques, que les Espagnols ont pris plus de poids.
Dans la législature précédente, il n’y avait qu’un seul membre de l’État espagnol dans cette commission, la populaire Rosa Estaràs. Maintenant ils sont cinq titulaires, dont deux sont des eurodéputés espagnols qui sont rentrés suite au Brexit : Adrián Vázquez, de Ciudadanos, qui a également pris la présidence de la Commission, et Marcos Ros Sempere, du PSOE. En outre, il y a aussi Esteban González Pons et Javier Zarzalejos, du PP, et Ibán García del Blanco, du PSOE. Et parmi les suppléants – qui votent en cas d’absence des membres titulaires – se trouvent Jorge Buxadé (Vox), Javier Nart (indépendant après avoir quitté Ciudadanos) et Nacho Sánchez Amor (PSOE).
Le principal argument que Puigdemont, Comín et Ponsatí présenteront contre la demande de levée de leur immunité est la motivation politique, c’est-à-dire que la demande est dûe à la persécution politique, avec la volonté d’altérer et de nuire à l’activité politique de ces députés. Cela s’appelle fumus persecutionis, et il existe plusieurs précédents dans des demandes précédemment refusées. Aucune d’entre elles n’est comparable à celle-ci. à laquelle sont confrontés le président et les conseillers en exil. Il n’y a pas de précédent qu’un tribunal d’un État de l’Union qui, avant même que la pétition, soit résolue ait déjà violé les droits des trois eurodéputés, les empêchant avec un mandat d’arrêt de se déplacer librement dans l’État espagnol, alors qu’ils peuvent le faire dans le reste des États membres. Comment les membres de la Commission des Affaires Juridiques interprèteront-ils cette situation ? Et le rapporteur, Dzhambazki ?
Ils peuvent alléguer que la Cour suprême espagnole est compétente pour effectuer la demande de levée d’immunité parce que cela est indiqué dans ce document du Parlement européen sur les procédures d’immunité et les organes compétents dans chaque état. Mais pour les juger en dernière instance ? Quel poids aura la sentence de la justice belge refusant l’extradition de Lluís Puig car ses droits fondamentaux ont été violés en concluant que la Cour suprême n’était pas la juridiction compétente pour le juger, invoquant la résolution du groupe de travail des détentions arbitraires de l’ONU ? Ne serait-ce pas un indicateur de motivation politique, de fumus persecutionis ?
Et le délit de sédition dont ils sont accusés est un argument de plus. Le fait qu’il s’agisse d’un délit de nature politique et qu’il n’ait pas d’équivalent (du moins pas si sévère en punition) dans les autres systèmes juridiques européens devrait également être un motif de refus, fumus persecutionis. Ou d’accorder la demande de levée de l’immunité parlementaire pour un délit, le détournement de fonds publics, mais pas pour celui de sédition, ce qui serait règlementairement possible ? Vont-ils le faire ? Que proposera l’eurodéputé bulgare qui a attaqué avec des pétards les manifestants dans son pays ? La trame politique et juridique qui s’est construite autour de la Commission des Affaires Juridiques laisse envisager une acceptation de la demande de levée de l’immunité. Mais il restera encore le vote, non seulement de la commission, mais aussi de la plénière du Parlement européen. Quels seront les votes des eurodéputés des différents groupes s’ils sont secrets ? Et surtout, quel sera l’impact que cela aura pour l’Etat espagnol et les conséquences judiciaires de portée européenne qu’une levée de l’immunité pourrait déclencher ultérieurement?