LEVÉE DE L’IMMUNITÉ AU PARLEMENT EUROPÉEN, UN SOUBRESAUT DE L’EUROPE DES ÉTATS CONTRE LA DÉMOCRATIE

Gustave Alirol, président de Régions et Peuples Solidaires
10.03.2021

Sur demande de la Cour suprême espagnole dont la partialité est bien connue, le Parlement Européen vient de décider la levée d’immunité des trois eurodéputés catalans Carles Puigdemont i Casamajó, Antoni Comín i Oliveres et Clara Ponsatí Obiols accusés d’avoir organisé un referendum d’autodétermination en octobre 2017, à l’époque où ils étaient à la tête du Gouvernement Catalan.

Cette décision est une triple défaite pour la démocratie. D’abord parce qu’elle vise à pénaliser l’exercice démocratique du droit à l’autodétermination contre les traités internationaux. Ensuite parce qu’elle confirme qu’au sein de l’Union Européenne, la raison d’état et l’intérêt des États prévalent sur les droits fondamentaux. Enfin parce que le vote a été organisé à bulletin secret, déresponsabilisant ainsi les soi-disant représentants du peuple.
Sur ce dernier point, Régions et Peuples Solidaires (R&PS) salue la mobilisation du groupe Verts / Alliance Libre Européenne (groupe auquel appartient l’eurodéputé R&PS François Alfonsi qui rassemble écologistes et régionalistes) et de celui la Gauche (ex. GUE) qui ont été les seuls à se positionner contre. Car la finalité liberticide de la demande de l’Espagne est actée. Il s’agit de pouvoir organiser le transfèrement des trois leaders catalans pour les envoyer en prison ainsi qu’elle l’a fait précédemment avec neuf autres élus et responsables associatifs.

La levée d’immunité, habituellement adoptée à un très large consensus, a essuyé cette fois-ci le barrage de 248 eurodéputés et l’abstention de 45 autres. Cette mobilisation historique de 42% du Parlement n’a été possible que grâce à de nombreux eurodéputés qui ont eu le courage de s’affranchir de leur groupe ; le Parti Populaire Européen, l’Alliance Progressiste des Socialistes & Démocrates et Renew Europe avaient en effet donné pour consigne de voter la levée d’immunité. R&PS veut voir dans ce geste, un premier pas vers le dépassement de l’Europe des États et la construction d’une Europe des peuples et des citoyens.
L’affaire est loin d’être terminée puisque les trois députés devraient saisir la Cour de Justice de l’UE mais la symbolique européenne est bien mal engagée.

Jour noir pour la démocratie en Europe

Leïla Chaibi eurodéputée insoumise

SOURCE : LE MONDE EN COMMUN. 10 MARS 2021

Le mardi 9 mars restera gravé comme une journée noire pour la démocratie et l’État de droit en Europe. Ce jour-là, le Parlement européen a voté la levée d’immunité de trois eurodéputés catalans : Tomi Comin, Carla Ponsati et Carles Puigdemont.

Ces trois députés européens sont poursuivis par la justice espagnole pour avoir organisé un référendum sur l’indépendance de la Catalogne en octobre 2017. Plus précisément, ils sont poursuivis pour les crimes de sédition (une peine qui n’existe que dans le code pénal espagnol), rébellion, désobéissance, et pour malversation de fonds publics afin d’organiser le scrutin. Fin 2019, neuf dirigeants restés en Espagne ont été condamnés à des peines de 9 à 13 ans de prison sur ce même dossier.
La procédure a été dénoncée aussi bien par l’Organisation des Nations Unies qu’Amnesty international ou encore la Fédération Internationale pour les Droits Humains. Jusqu’à 13 ans de prison pour avoir organisé un référendum, c’est ce qui attend ces trois eurodéputés dont l’immunité a été levée.
La question ici n’est pas celle de savoir si la Catalogne doit ou non être indépendante. L’enjeu concerne le respect de l’état de droit par les Etats membres de l’Union européenne. La question est de savoir si des élus peuvent être poursuivis pour des actions qu’ils mènent dans un cadre democratique. C’est pour cela que les statuts du Parlement européen prévoient une immunité parlementaire. Cette immunité ne confère bien évidemment pas un passe-droit qui permettrait d’échapper à la justice (c’est d’ailleurs pour cela que les statuts du Parlement européen prévoient que l’immunité d’un député puisse être levée). Cette immunité doit en revanche permettre aux députés d’exercer librement leur mandat sans s’exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique. Ce qui est manifestement le cas pour les trois élus catalans.
Par différents jugements, la justice espagnole a montré qu’elle n’a pas encore complètement rompu avec l’héritage du franquisme. La condamnation du rappeur Pablo Hasel a deux ans et demi de prison pour les paroles de ses chansons est venue le rappeler. La justice belge a également rejeté la demande d’extradition de Lluis Puig, l’ancien ministre de la Culture de l’ex-gouvernement indépendantiste catalan réfugié en Belgique, parce qu’elle considérait qu’il existait un « risque sérieux de violation » de son « droit à un procès équitable » en Espagne.
Conservateurs, socialistes et libéraux de Renew se sont donc donnés la main dans leur grande majorité pour livrer trois élus aux poursuites politiques d’une justice espagnole instrumentalisée. Et cela dans le cadre d’une procédure initiée par un parti d’extrême-droite.
Alors que les condamnations de Lula viennent d’être annulées, cette levée d’immunité résonne tristement : le Parlement européen décide de donner carte blanche aux dérives autoritaires et antidémocratiques qui peuvent exister au sein des États membres. Demain, un pays européen pourrait donc décider unilatéralement d’emprisonner pour des raisons politiques une personne démocratiquement élue. Une défaite morale et politique pour l’Union européenne car la criminalisation des opposants politiques sert toujours les intérêts d’un ordre social antidémocratique.
Le combat est loin d’être fini.
La lutte va continuer au niveau de la justice écossaise pour Ponsati, et belge pour Puigdemont et Comin. Pour le moment, celle-ci refuse de livrer des élus catalans à la justice espagnole.
Les députés européens catalans vont également déposer une requête à la Cour de justice de l’Union européenne car cette levée d’immunité se fait en violation des règles du Parlement européen. En effet, le règlement du Parlement stipule que s’il y a une persécution politique dont le but est d’empêcher l’activité politique de l’élu, la demande de levée de l’immunité doit être rejetée. Or il est clair qu’avec cette utilisation de la justice, les autorités espagnoles instrumentalisent la justice pour régler des différends politiques. Elles n’ont qu’un but : empêcher l’activité politique des ces élus en en faisant des prisonniers politiques.
Il y a un an, je m’étais rendu à la prison de Lledoners en Catalogne pour échanger avec Oriol Junqueras, Raül Romeva et d’autres responsables catalans emprisonnés, pour leur apporter mon soutien, celui de La Gauche au Parlement européen ainsi que celui de la France insoumise. Je leur avais adressé mon soutien et je leur avais dit ma volonté que les prisonniers politiques soient libérés. Mes collègues eurodéputés élus comme moi démocratiquement doivent continuer de siéger à mes côtés au Parlement européen. Leur place est là-bas et non en prison.
On ne peut régler un conflit politique par la judiciarisation. Il en va du respect de la démocratie et des droits fondamentaux de l’ensemble des citoyens de cette planète.

À la Une

Lettre aux europarlementaires : voter NON à la demande de levée de l’immunité des 3 député.e.s catalan.e.s

Lundi prochain, 8 mars 2021, vous allez vous prononcer sur la demande de levée de l’immunité de trois de vos collègues, les député.e.s européenne.s catalan.e.s Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí. Ce faisant, la situation catalane, cessera d’être seulement une « affaire interne espagnole », pour éclater au grand jour dans le lieu le plus symbolique des institutions européennes et de la défense de la démocratie, le Parlement européen.

À travers cette lettre, notre Coordination des collectifs de solidarité avec le peuple catalan tient à souligner une série d’irrégularités qui ont entaché le débat et, par conséquent, la décision de la commission juridique du Parlement européen puisque des aspects juridiques et politiques ont été  mélangés dans cette affaire.

Tout d’abord :

  • les trois demandes de levée de l’immunité auraient dû faire l’objet de trois dossiers distincts ;
  • la composition de la commission des Affaires juridiques surprend par le nombre élevé d’eurodéputés espagnols : 5 sur 25, y compris son président. C’est tout à fait inhabituel et l’on ne peut que s’interroger sur l’intérêt de l’Espagne à contrôler cette commission ;
  • le dossier de votre collègue Clara Ponsatí, ex-ministre de l’Éducation du gouvernement catalan, comportait une erreur de poids. En effet, au délit de sédition pour lequel le Tribunal Suprême Espagnol réclame son extradition avait été ajouté celui de malversation, délit duquel Mme Ponsatí n’est pas accusée. Cela a été corrigé récemment, après le vote et l’avis rendu par la commission ;
  • l’obligation de confidentialité de la procédure n’a pas non plus été respectée et certains membres se sont exprimés dans les médias espagnols au cours de celle-ci. Le président du Parlement européen, David Sassoli, s’est d’ailleurs engagé à mener une enquête.

Par ailleurs, lors des traductions des mandats d’arrêts internationaux par les différents services juridiques, le mot « malversation » est devenu « corruption » et à côté de celui de « sédition », on voit apparaître « rébellion », qui ne fait pas partie  des chefs d’inculpations. Cela dit, il nous semble important de préciser, et cela est très facilement vérifiable, que, d’une part, les finances catalanes étaient, à cette époque-là, sous la tutelle exclusive du ministre de l’Economie espagnol, Cristóbal Montoro, et que, d’autre part, le concept de sédition n’existe dans aucun autre pays d’Europe ; enfin pour qu’il y ait rébellion il faut « un soulèvement armé ». Tordre ainsi les faits et les mots pour condamner vos collègues inculpé.e.s relève de la vengeance politique, voire de la persécution. C’est une attitude que notre coordination considère anti démocratique et très dangereuse pour les droits de tous les élu.e.s et de tous les citoyen.ne.s européens.

En outre, il faut rappeler que, en 2018, les tribunaux écossais, belge et allemand ont refusé d’extrader les trois responsables catalan.e.s, devenu.e.s par la suite eurodéputé.e.s, en arguant que ce chef d’inculpation est absent de leurs codes pénaux respectifs.

Il y a à peine deux mois, le Tribunal d’Appel belge a refusé d’extrader l’ex-ministre de la Culture exilé, Lluis Puig, sur la base, entre autres, des considérations présentées en mai 2019 dans le rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire de l’ONU. Le juge a affirmé qu’ « il existe un sérieux risque de violation du droit à la présomption d’innocence et du droit à un procès juste ».

Ces quelques raisons invoquées ut supra mettent en évidence que, sous une apparence légale, il  s’agit, en réalité, d’une persécution politique, un cas de « fumus persecutionis ».

Ces raisons expriment aussi l’extrême préoccupation de notre Coordination en ce qui concerne l’issue de la demande de levée de l’immunité de vos collègues, eurodéputé.e.s catalan.e.s. Si le vote de la séance plénière était favorable à la levée de celle-ci, il impliquerait, certes, des limitations dans leur vie quotidienne, mais, au-delà, il constituerait un grave précédent au sein du Parlement européen, institution conçue pour garantir le respect et la défense des droits humains. Il convient de se prémunir contre toute attaque contre la démocratie. Il y va de notre survie.

Aujourd’hui, ce sont les député.e.s catalan.e.s qui sont visé.e.s par cette procédure, mais si elle est votée, elle pourrait ensuite être utilisée contre n’importe lequel de vos collègues, y compris contre vous-même.

Nous vous appelons Madame la Députée, Monsieur le Député, si vous restez attaché aux valeurs démocratiques fondatrices de l’Union Européenne, à ne pas suivre l’avis de la Commission des Affaires juridiques et à voter NON à la demande de levée de l’immunité parlementaire de vos collègues Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí.

Le sort de vos collègues est entre vos mains.

Coordination des collectifs de solidarité avec le peuple catalan

Le 4 mars 2021

À la Une

Manon Aubry : « Nous sommes confrontés à une menace pour la démocratie »

Entretien avec l’eurodéputée de la France Insoumise, indignée par la tentative de levée de l’immunité à Puigdemont, Ponsatí et Comín.

Par: Andreu Barnils
VilaWeb 25/02/21

Manon Aubry (1989) est eurodéputée de la France Insoumise et co-présidente du groupe de la Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne -Gauche verte nordique au Parlement européen. Aubry a fait partie de la commission [des Affaires juridiques] qui vient de recommander à la plénière du parlement de lever l’immunité parlementaire de Carles Puigdemont, Clara Ponsatí et Toni Comín. Si la plénière suit la commission, les trois eurodéputés devront se présenter devant les tribunaux belges et écossais pour faire face à une euro-ordre européenne jusque-là restée sans effet. Manon Aubry ne partage pas la recommandation et estime que les trois eurodéputés catalans font l’objet d’une persécution politique pour leurs idées, et que la décision de la commission n’est ni indépendante ni fondée sur des bases juridiques. Dans cet entretien téléphonique avec VilaWeb, l’eurodéputée est alarmée par le précédent qui pourrait créer cette affaire. Selon elle, les eurodéputés pourront désormais être persécutés pour leurs positions politiques. Elle y voit une menace pour la démocratie.

Comment évaluez-vous la décision de la commission, qui recommande la levée de l’immunité des trois eurodéputés catalans ?
—Je pense que la décision est très problématique. La question n’est pas de savoir si la Catalogne doit être indépendante ou non. La question est de savoir si les personnes démocratiquement élues par des centaines de milliers de voix peuvent être entendues au parlement. Je pense que la décision de ne pas les vouloir au parlement est clairement politique. Et si vous regardez les poursuites judiciaires contre eux trois, vous voyez qu’en Espagne, elles ont été également initiées par l’extrême droite, contre l’avis des Nations Unies et d’Amnesty International, qui affirment que ce processus judiciaire peut être arbitraire. Depuis le début, l’Espagne a tenté de les empêcher de devenir eurodéputés. C’est une décision politique depuis le tout début. Et je crains que cela n’établisse un précédent. Ceci signifierait que nous ne sommes pas en mesure de protéger les membres du Parlement européen qui ont été élus démocratiquement. Vous pouvez être d’accord ou non avec Puigdemont, Ponsatí ou Comín, mais le fait est qu’ils ont été élus démocratiquement. Et la décision de la commission est erronée car elle est motivée par des positions politiques et non pas juridiques.
Puigdemont, Ponsatí et Comín n’étaient pas eurodéputés lorsque les faits pour lesquels on veut les juger ont eu lieu.
—Le problème ici est que des poursuites sont intentées contre eux pour leur position politique. Ils sont persécutés pour des idées politiques, parce qu’ils défendent l’indépendance de la Catalogne et parce qu’ils ont organisé un référendum. Par conséquent, toute cette affaire a à voir avec leur positions politiques et leurs décisions politiques. Et c’est pourquoi ils doivent être protégés, car c’est précisément la position d’un membre du Parlement européen : avoir une position politique protégée.
Il y avait de nombreux eurodéputés espagnols au sein de la commission. Est-ce fréquent ?
—Chaque groupe choisit qui il y envoie. Et dans l’ensemble, oui, il y avait beaucoup d’espagnols. Et cela a provoqué un débat très espagnol, plutôt qu’européen sur l’opportunité de lever ou non l’immunité. Par moments, je ne me suis certainement pas retrouvée pas à ma place. Bref, je pense qu’on peut dire que ce n’était pas une décision indépendante, celle de la commission.
Le président de la commission était un eurodéputé de Ciudadanos.
—Oui. Des règles de confidentialité existent et affectent également la manière dont le débat s’est déroulé. Je n’ai pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Je veux respecter les règles, sachant que d’autres eurodéputés ne l’ont pas fait. Et ils ont été critiqués pour cela. Mais je peux vous dire que je ne suis pas certaine que cela ait été réalisé avec l’indépendance qui aurait été nécessaire. Cependant, je ne critiquerai personne en particulier.

Celui qui a rédigé le rapport fait partie de l’extrême droite européenne. Surprenant.
—Comme je l’ai dit, je ne vais pas parler des gens. Je dis qu’une décision politique a été prise, et nous devons la considérer comme telle. Et c’est très dangereux.

Le rapport a été divulgué à la presse espagnole.
—C’est une violation des règles de confidentialité que je vous ai déjà mentionnées. J’ai été encore plus surprise quand j’ai vu que le rapport avait été divulgué à la presse d’extrême droite. J’espère que la fuite sera rapportée au président du parlement. Et j’espère que nous découvrirons qui l’a faite. Et qu’il en paie le prix. Parce qu’il a enfreint les règles du Parlement européen.

La commission recommande de lever leur immunité. Quel vote pouvons-nous attendre de la plénière ? Le même ?
—La majorité pour leur retirer l’immunité était suffisamment importante. Par conséquent, je soupçonne qu’en plénière, ce sera similaire. Je n’en ai pas la certitude, mais c’est très probable. Et je le regrette profondément. Et c’est pourquoi j’appelle mes collègues parlementaires à voter sans se baser sur leur vision de la Catalogne ou de l’Espagne. Ce n’est pas le problème. La question est de savoir si nous sommes du côté de la démocratie ou non. Et je sais parfaitement de quel côté je suis. À côté de la démocratie. Je pense aux centaines de milliers de Catalans qui ont voté pour leurs représentants. Et maintenant, certains veulent qu’ils ne puissent plus les représenter. Ni que leur voix puisse être entendue. Ce qui est clairement du deux poids deux mesures : d’une part, nous signalons Orbán et d’autres autoritaires en Hongrie, mais nous devons défendre la démocratie dans le même sens en Espagne. C’est une question purement démocratique. C’est pourquoi je suis si préoccupée : si nous ne défendons pas les députés démocratiquement élus maintenant et laissons les systèmes judiciaires nationaux les persécuter, demain, ce sera peut-être moi. Si mon gouvernement n’est pas satisfait de ce que je fais, ça pourrait être moi. Ou un autre. Tout cela est très dangereux car cela signifie que chacun de nous peut être réduit au silence pour sa position politique. Nous sommes confrontés à une menace pour la démocratie. Une très grande menace.

Votre groupe au parlement votera-t-il comme vous ?
—Les députés ont la liberté de vote, mais je suis convaincue que le groupe suivra la recommandation, car, peu importe ce que nous pensons de la Catalogne ou de l’Espagne, nous sommes tous du côté de la démocratie. Mais, malheureusement avec mon groupe ce ne sera pas suffisant pour atteindre la majorité. C’est pourquoi j’invite les eurodéputés des autres groupes à bien y réfléchir.

Le grand doute est ce que feront les socialistes et les conservateurs.
—Je pense que la grande majorité voudra retirer l’immunité. Mais le vote en plénière sera secret. Nous ne saurons donc pas non plus ce que chacun a fait. Ce vote sera très important pour la démocratie, mais nous ne saurons pas qui a voté quoi. Ce sont les règles, et nous les respecterons, mais je pense que c’est un problème.

Pour terminer, comment avez-vous connu personnellement le cas catalan ?
—En tant que citoyenne française, j’en entends parler depuis le premier jour. Je connais la Catalogne et j’ai une certaine connaissance de ce qui s’y passe. Je suis les événements. Mais je ne suis pas espagnole, et je n’ai pas besoin d’avoir un point de vue, ou une position, sur l’indépendance. J’essaie uniquement de défendre la démocratie.

À la Une

BRISER LE SILENCE

Communiqué Ligue des droits de l’homme 12 février 2021

Alors que se profilent les prochaines élections – prévues le 14 février – devant renouveler le gouvernement de la Generalitat à la suite de la destitution de son président Quim Torra le 28 septembre dernier, rien n’est réglé concernant celles et ceux qui, depuis octobre 2017 ou mars 2018, sont emprisonnés.

Sept membres du gouvernement de la Generalitat et deux présidents d’associations ont été condamnés pour sédition à dix et treize ans de prison après avoir organisé un référendum en octobre 2017 sur l’indépendance de la Catalogne.

Après un procès vivement critiqué, notamment dans le rapport commun établi par la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et EuroMed Droits, ils sont dans l’attente de la décision du Tribunal suprême, condition préalable pour saisir la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Au niveau européen la situation n’est pas meilleure : trois membres de l’ancien gouvernement de la Generalitat élus députés européens font l’objet d’une procédure de demande de levée d’immunité parlementaire à la demande du gouvernement espagnol.

La question de l’indépendance ou non de la Catalogne a aveuglé bon nombre d’observateurs depuis plus de trois ans au point de ne même plus s’indigner de voir des prisonniers politiques purger de lourdes peines de prison juste à nos frontières. Le silence est tel, sauf en Catalogne, que l’on peut s’interroger sur le respect des droits fondamentaux qui ne peut être à géométrie variable.

La demande d’un règlement politique et non judiciaire a été faible auprès d’un gouvernement, celui de Pedro Sanchez, qui se trouve aux prises avec un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire dont la majorité des membres est issue de l’ancienne majorité de droite empêchant tout règlement politique d’un conflit.

Pourtant dès juin 2019, en plein déroulement du procès, un groupe de travail sur les détentions arbitraires d’un organisme dépendant des Nations unies a demandé la libération immédiate des prisonniers politiques, considérant qu’ont été violés par la justice espagnole les droits des condamnés : droit à la liberté d’expression, droit de manifestation pacifique, droit à la liberté et à la sécurité de la personne, égalité devant la loi, droit à la participation aux affaires publiques, droit à la liberté d’opinion.

D’autres voix s’élèvent depuis quelque temps : des parlementaires français ont pris position pour demander la libération des prisonniers et un règlement politique et non judiciaire de la situation des prisonniers politiques, une pétition internationale a été signée par de très nombreuses personnalités.

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) appelle à la mobilisation pour la défense des droits fondamentaux en Espagne comme elle le fait en France et partout où ceux-ci sont malmenés.

 

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Pourquoi la demande de levée de l’immunité parlementaire de Puigdemont, Comín et Ponsatí peut se retourner contre l’État espagnol ?

Source : VILAWEB   15.11.2020  

https://www.vilaweb.cat/noticies/suplicatori-puigdemont-ponsati-comin-analisi-josep-casulleras/

Josep Casulleras Nualart

a demande de levée de l’immunité parlementaire de Puigdemont, Ponsatí et Comín pourrait aboutir, mais elle peut avoir des conséquences juridiques et politiques très graves.

Est-il possible de faire un jugement du jugement ? La bataille judiciaire en exil depuis l’automne 2017 a permis ces trois dernières années de mettre en lumière sur la scène internationale l’ensemble du processus judiciaire contre les dirigeants indépendantistes. Et maintenant, trois ans plus tard, avec l’arrêt de la Cour suprême espagnole sur la table, la procédure de demande de levée de l’immunité parlementaire interposée contre Carles Puigdemont, Clara Ponsatí et Toni Comín par le juge Llarena au Parlement européen, qui est sur le point de reprendre, peut le rendre encore plus visible.

Depuis novembre 2017, lorsqu’un juge belge a laissé en liberté provisoire le président Puigdemont et les conseillers qui étaient allés témoigner pour l’euro-ordre alors que des prisonniers politiques étaient détenus à Madrid, le contraste entre ce que faisait l’Espagne et ce que faisait l’Europe a mis en évidence un système de répression politique. Le rejet des euro-ordres par l’Allemagne et la Belgique a déjà été une façon de juger, avec un concept de justice démocratique et respectueuse des droits fondamentaux, ce que faisait une autre justice qui ne l’est pas parce qu’elle met avant tout l’unité de l’Espagne, à tout prix. La décision de la Cour de justice de l’UE sur Junqueras a représenté un saut en avant dans ce conflit, car elle a permis la reconnaissance de Puigdemont, Comín et Ponsatí en tant que députés européens et, surtout, elle a opposé leur situation à celle du président d’ERC, aussi député européen mais emprisonné. Désormais, s’ouvre encore une nouvelle voie, avec la demande de levée de l’immunité parlementaire, et c’est justement l’État espagnol qui l’active, avec l’obsession de porter Puigdemont devant un tribunal espagnol. Mais, cette manœuvre de longue haleine risque de finir par se retourner contre lui.

Et si la demande de levée de l’immunité parlementaire est approuvée ?

La demande a de fortes chances de réussir, car elle dépend des majorités politiques de la commission juridique et de la plénière du Parlement européen qui, a priori, ne favorisent ni le président ni les conseillers exilés. Les familles politiques du PP, du PSOE, de Ciudadanos et de Vox, toutes quatre totalement alignées sur cette affaire, disposent d’une nette majorité. Cependant, il en ira peut-être autrement lorsqu’on connaitra le sens du vote final, par exemple, des députés du groupe des Socialistes et Démocrates (où se trouve le PSOE) des autres pays, ou des partis libéraux au sein du groupe Renew Europe (où il y a Ciudadanos), et même du groupe populaire.

La procédure de demande durera quelques mois et les sessions de la Commission des Affaires Juridiques où elle sera débattue, dans lesquelles Puigdemont, Comín et Ponsatí pourront s’expliquer, se dérouleront à « huis clos ». Et nous l’écrivons entre guillemets car cette procédure doit se faire en présentiel, selon la réglementation, mais la pandémie, qui avait reporté le début de la procédure, a fait que l’argument forcé de Ciudadanos (qui préside cette commission avec l’eurodéputé Adrián Vázquez) pour la réactiver par visioconférence ait été acceptée par les services juridiques du Parlement européen. Autrement dit, les sessions seront télématiques et pourtant elles devraient rester confidentielles.

Il y a encore un troisième aspect important : le résultat de la procédure, aussi favorable soit-elle au retrait de l’immunité de tous les trois, n’impliquera pas la perte du statut de député européen. Et il aura encore moins à voir avec une quelconque décision sur la demande d’extradition faite par la Cour suprême espagnole. Puigdemont et Ponsatí i Comín continueront à être députés européens et à exercer leurs droits, et en tout cas ils devront comparaître à nouveau devant la justice belge sur la demande d’extradition qui leur a été adressée par le juge Llarena. Cependant, le fait que Lluís Puig ne soit pas membre du Parlement européen et ne bénéficie pas de l’immunité, raison pour laquelle il a dû se soumettre avant à la décision de la justice belge : un refus d’extradition en raison du fait que la Cour suprême espagnole n’est pas la juridiction compétente pour la demander.

La Cour suprême, la persécution politique et un recours à Luxembourg

Ceci est fondamental dans toute cette procédure. La sentence de la justice belge refusant l’extradition de Lluís Puig est au cœur de l’argumentation de la défense des exilés contre cette demande de levée de l’immunité parlementaire. Parce que s’il y a bien un argument convaincant pour refuser la demande, c’est qu’il y a des preuves de persécution politique derrière la pétition. Et le fait que ce soit la Cour suprême qui en fait la demande peut en être la preuve. Pour la justice belge, ça l’est. Le juge a insisté plus d’une fois, dans la sentence du 7 août dernier : il a dit que le respect de l’article 6 de la Convention des droits de l’homme était mis en péril, c’est-à-dire le droit de Lluís Puig d’avoir un procès équitable, car la Cour suprême n’était pas compétente pour demander son extradition. Cela violait le droit du juge naturel. Mais c’est que ce droit a été violé à tous les prisonniers qui ont été jugés (et condamnés) par la Cour suprême, et tout cela parce que l’État espagnol a voulu exhiber la punition des principaux leaders indépendantistes en cette haute cour, la même qui avait jugé Lluís Companys, et dans la même salle, et le faire à Madrid au lieu de Barcelone, dans un tribunal « mineur ». Et nous y revoilà : comment peut-on comprendre que la justice d’un pays de l’Union européenne dise cela et que la Cour suprême espagnole ait déjà jugé et condamné les prisonniers politiques ? C’est une étape supplémentaire dans le jugement du jugement qui est fait sur la scène internationale.

Voici un argument clé important dans cette procédure. Que la majorité politique au Parlement européen le prenne en compte ou pas, c’est une autre chose. Les arguments juridiques avancés qui ne seraient pas pris en compte, c’est-à-dire au cas où la pétition serait acceptée, pourraient être à nouveau utilisés dans un éventuel recours devant la Cour de justice de l’UE. Les équipes juridiques des trois eurodéputés ont depuis longtemps averti tant les services juridiques de la chambre que tous les députés européens de l’irrégularité qui implique de mener une procédure de pétition comme celle-ci lorsque le tribunal qui la demande n’est pas compétent pour le faire, ou quand il y a de très sérieux doutes que ce soit le cas et qu’ils soient même dénoncés par la justice d’un pays membre de l’UE comme la Belgique. Si, toutefois, la pétition va de l’avant et est acceptée, les droits des représentants au parlement de plus d’un million de citoyens européens qui ont voté pour eux ne seraient-ils pas bafoués ?

Les équipes juridiques de Puigdemont, Comín et Ponsatí ont un autre argument qu’il serait très difficile d’expliquer que le Parlement européen néglige : la sédition est un crime archaïque, qui n’existe pas dans la grande majorité des états de l’UE, et les délits du code pénal des autres juridictions auxquels elle pourrait être comparée impliquent des peines beaucoup plus faibles que celles imposées aux prisonniers politiques. Techniquement, cela devrait déjà être une raison pour rejeter la demande de levée de l’immunité. Si la commission des affaires juridiques, d’abord, et le Parlement européen ensuite approuvaient la levée de l’immunité du président et des conseillers, ils auraient négligé une raison très claire de rejet de la pétition. Et cela pourrait également servir de base à l’interjection d’une cause en justice européenne.

Il est clair qu’il n’y a pas de précédent d’un député européen dont l’immunité ait été levée qui saisit la justice européenne. Mais il n’y en avait pas non plus du TJUE reconnaissant l’immunité d’un député européen qu’un État membre maintien en détention. La voie judiciaire vers le TJUE après une éventuelle acceptation de la pétition est incertaine car au final la décision aurait été prise par le Parlement européen par vote, d’abord en commission puis en plénière. Mais il y a aussi des éléments du droit de l’UE qui, s’ils sont ignorés par les membres de la Commission des Affaires Juridiques lors de l’approbation d’une proposition de levée d’immunité, peuvent être pris en compte par le Tribunal de Luxembourg. Nous en avons évoqué certains, comme l’arbitraire du délit de sédition (et lorsque le gouvernement espagnol lui-même vient d’annoncer qu’il entamera les procédures pour le réformer) et l’incompétence de la Cour suprême à demander au Parlement européen une pétition de levée de l’immunité parlementaire.

Il est désormais plus clair ce qui pourrait advenir au cas où Puigdemont, Comín et Ponsatí devraient comparaître devant le tribunal belge. Le précédent de Lluís Puig est important. Alors que se passe-t-il si, après une éventuelle levée d’immunité, la Belgique refuse l’extradition ? Dans ce cas, que ferait la Cour suprême ? Maintiendrait-elle, comme à ce jour, l’interdiction d’entrée à l’État espagnol des trois députés européens dont tous leurs droits seraient reconnus ? Ils peuvent désormais circuler librement dans tous les États de l’Union, à l’exception de l’Espagne, un autre argument de poids pour expliquer à la Commission des Affaires Juridiques pourquoi il s’agit d’un cas de persécution politique. Cela continuerait-il d’être le cas, indépendamment que la pétition soit accordée et suivie par un refus d’extradition de la justice belge ou pas ?

Les trois députés européens garderaient leurs droits et prérogatives intacts, et il reste à voir dans quelle mesure cela entraînerait légalement la récupération de l’immunité. Il est clair cependant que d’un point de vue réglementaire, la Cour suprême espagnole ne pourrait pas demander à nouveau la levée de l’immunité des députés européens ; ni Llarena ni aucun autre magistrat ne pourrait interposer à nouveau une procédure de levée de l’immunité parlementaire. Ils se trouveraient dans une impasse, si c’est le cas, car la persécution judiciaire des députés Puigdemont, Comín et Ponsatí ne pourrait plus continuer. Quelle excuse la Cour suprême va-t-elle alors invoquer pour les empêcher de rentrer dans l’État espagnol, et mettre à nouveau les pieds en Catalogne ? Comment justifier le maintien d’un mandat d’arrêt après l’achèvement de toute cette procédure ? Llarena serait pieds et poings liés. Et l’image de l’Espagne en souffrirait, bien entendu, car cette pétition aura un écho médiatique et politique très important en Europe.

À la Une

C’est ainsi qu’ils envisagent de retirer l’immunité parlementaire européenne à Puigdemont, Comín et Ponsatí

Analyse Josep Casulleras Nualart

Source : VILAWEB                            22.11.2020  

https://www.vilaweb.cat/noticies/suplicatori-puigdemont-comin-ponsati-analisi/

Les eurodéputés espagnols se sont précipités pour prendre une place dans une commission parlementaire cruciale pour l’immunité des exilés catalans.

L’eurodéputé qui a entre ses mains une grande partie de la décision concernant l’immunité des trois parlementaires, élus par plus d’un million de citoyens, est un ultra-conservateur au discours homophobe et xénophobe. Le bulgare Angel Dzhambazki, a fait en plus,  au moins deux choses importantes lundi 16 novembre : dans la matinée, il a prononcé le premier discours devant la Commission des Affaires Juridiques du Parlement Européen présentant le cas de la demande de levée de l’immunité parlementaire de Carles Puigdemont, Toni Comín et Clara Ponsatí. C’est lui qui devra faire le rapport sur lequel  la commission devra voter, proposant soit de retirer l’immunité aux 3 eurodéputés, comme la Cour suprême espagnole le demande, ou bien de la maintenir. En soirée, Dzhambazki lançait, depuis la fenêtre du bâtiment de son parti, le Mouvement national bulgare, des pétards sur les manifestants qui protestaient contre la corruption du gouvernement dont son parti fait partie. Les images on impacté en Bulgarie. Un eurodéputé qui attaquait les manifestants avec des pétards et qui les arrosait avec un tuyau d’eau !

Le 7 décembre Angel Dzhambazki devra donc écouter les allégations de Puigdemont, Comín et Ponsatí; il devra réviser la nombreuse documentation que leurs avocats ont soumis à la commission pour démontrer qu’il s’agit d’un cas de persécution politique plein d’irrégularités ; ainsi il devra prendre note des interventions qu’il y aura dans le débat entre les vingt-cinq membres de la commission sur le bien- fondé d’accepter cette procédure ; il devra aussi  prononcer et élaborer une proposition argumentée. Lui, Dzhambazki, qui a participé à un événement de Vox dans le  Parlement Européen en mars 2019 sous le titre « Catalogne, une région espagnole ». Un événement qui a eu lieu peu de temps après que le Parlement européen interdise une conférence du président Puigdemont et du président Torra.

Le député européen ultra-conservateur bulgare Angel Dzhambazki.

Deux autres incidents controversés figurent sur le curriculum vitae de Dzhambazki en tant que député européen : en décembre de l’année dernière, il a été arrêté alors qu’il conduisait ivre, dépassant le taux d’alcoolémie autorisé en Bulgarie, et un an plus tôt, en novembre 2018, il a été arrêté à l’aéroport de Sofia parce qu’il voyageait avec une arme à feu. Le fait que le rapport sur la procédure contre Puigdemont lui ait été attribué est dû, en partie, à un facteur aléatoire : l’eurodéputé responsable de la commission est nommé par un système de rotation entre les groupes de la dite commission, qui, dans ce cas correspondait à un membre du groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), qui s’est avéré être Angel Dzhambazki. Cela est aussi dû au fait que parmi les incompatibilités pour un député européen à assumer une telle responsabilité, ne figurent pas le fait qu’il ait des positions ou des attitudes politiques anti-démocratiques qui attentent de manière flagrante contre les droits fondamentaux ou qui montrent un positionnement politique clairement opposée à celui des députés concernés par la demande de levée de l’immunité parlementaire. Les incompatibilités prévues dans le règlement intérieur du Parlement européen sont seulement que le rapporteur fasse partie du même groupe que celui du député européen pour qui la levée de l’immunité est demandée et qu’il n’ait pas la même nationalité.

Manon Aubry aurait pu prendre en charge le cas de Ponsati…… ou de Comín

Mais pourquoi Dzhambazki est-il en charge du rapport des trois eurodéputés ? La défense des eurodéputés catalans allègue qu’une telle décision qu’un seul orateur soit chargé de résoudre chaque cas porte atteinte aux trois eurodéputés; cela porte particulièrement tort à Clara Ponsatí, car elle n’est pas accusée de détournement de fonds publics à différence  de Puigdemont et de Comín . Mais la vérité est qu’il existe un précédent dans lequel un seul rapporteur a été en charge de la procédure de levée de l’immunité contre plusieurs députés européens pour la même affaire. Et curieusement, la dernière fois que cela s’est produit, c’était en 2018 avec Angel Dzhambazki comme rapporteur, pour le retrait de l’immunité de trois députés du parti d’extrême droite grec Aube Dorée. Dans cette affaire, Eleftherios Synadinos, Georgios Epitideios et Lampros Fountoulis ont été privés de leur immunité par le Parlement européen afin qu’ils puissent être jugés dans leur pays pour la violation de décisions judiciaires antérieures à leur encontre. Dzhambazki  produisit des rapports complètement aseptiques, sans développer le moindre argument, comme c’est le cas pour d’autres rapports dans d’autres procédures.

D’abord,, sont arrivées, les demandes de la Cour suprême espagnole contre Puigdemont et Comín. La présidente de la Commission des Affaires Juridiques, qui était à l’époque la britannique Lucy Nethsingha (Renew Europe) et les coordinateurs des groupes parlementaires de la commission (Marie Toussaint des Verts-ALE, Axel Voss du PPE, Tiemo Wölken, de S&D) n’ont pas jugé nécessaire de diviser la procédure en deux rapports, et les cas de Puigdemont et de Comín ont été attribués  à l’eurodéputé bulgare d’extrême droite. Puis, avec la mise en place du Brexit et la reconfiguration des organes du Parlement Européen suite au départ des députés britanniques, l’Espagnol de Ciudadanos, Adrián Vázquez du groupe Renew Europe aussi, a assumé le poste de président de la commission. A ce moment, Clara Ponsatí est entrée en tant que nouvelle eurodéputée. Ils n’ont pas considéré non plus, que sa cause devait être portée par un autre rapporteur, bien que son dossier soit arrivé plus tard et qu’elle ne soit pas accusée de détournement de fonds publics.

La leader de la Gauche unitaire européenne, Manon Aubry.

Que serait-il passé si l’affaire de Ponsatí avait été séparée et qu’un nouvel rapporteur l’avait prise en charge ? Clara Ponsati  aurait eu, du fait du système rotatif de distribution des rapports, la députée européenne de la France Insoumise, Manon Aubry, leader de la Gauche Unitaire Européenne. Aubry a critiqué la répression espagnole contre l’indépendantisme catalan, et s’est toujours prononcée en faveur de la reconnaissance de Junqueras, Puigdemont et Comín en tant que députés européens lorsqu’ils ont été privés de ce statut, et a critiqué le rôle de l’UE dans le conflit catalan. Dans une interview accordée à l’ANC il y a un an, elle avait déclaré : « La direction que prend l’Espagne avec l’affaire catalane est très dangereuse. Dans une démocratie, les choses se résolvent par le vote. Ce n’est pas normal que trois élus ne puissent pas siéger au Parlement Européen ou que des personnes soient condamnées à tant d’années de prison pour avoir convoqué un référendum. »

Quel ton aurait eu le rapport d’Aubry sur la levée de l’immunité de Ponsatí ? Ou de Toni Comín, si les trois procédures avaient été portées par trois rapporteurs différents ? Quelle approche différente de la question et quelle évaluation des preuves et des droits en jeu auraient-ils été faits, par rapport à ce que pourra faire Angel Dzhambazki ? C’est là l’arme principale de la Cour suprême espagnole pour se voir accorder les pétitions qu’elle demande : le rapporteur. Et aussi l’importante présence de députés espagnols dans cette commission, non seulement pour voter en faveur de ce que Dzhambazki pourrait proposer, mais aussi pour influencer le vote des autres députés.

Le jeu de la chaise des eurodéputés espagnols

Dans cette commission il y a une des plus élevées proportions  de députés espagnols par rapport au nombre total de membres.  Au début de la législature c’est une commission qui n’est généralement pas l’une des préférées des eurodéputés. Lorsque celle-ci a commencé, et prévoyant que des questions importantes sur les eurodéputés indépendantistes pourraient être discutées au sein de cette commission, les partis espagnols y ont rapidement pris des positions. Mais c’est surtout après le Brexit, avec la reconfiguration des organes du Parlement européen à la suite du départ des députés britanniques, que les Espagnols ont pris plus de poids.

Dans la législature précédente, il n’y avait qu’un seul membre de l’État espagnol dans cette commission, la populaire Rosa Estaràs. Maintenant ils sont cinq titulaires, dont deux sont des eurodéputés espagnols qui sont rentrés suite au Brexit : Adrián Vázquez, de Ciudadanos, qui a également pris la présidence de la Commission, et Marcos Ros Sempere, du PSOE. En outre, il y a aussi Esteban González Pons et Javier Zarzalejos, du PP, et Ibán García del Blanco, du PSOE. Et parmi les suppléants – qui votent en cas d’absence des membres titulaires – se trouvent Jorge Buxadé (Vox), Javier Nart (indépendant après avoir quitté Ciudadanos) et Nacho Sánchez Amor (PSOE).

Le principal argument que Puigdemont, Comín et Ponsatí présenteront contre la demande de levée de leur immunité est la motivation politique, c’est-à-dire que la demande  est dûe à la persécution politique, avec la volonté d’altérer et de nuire à l’activité politique de ces députés. Cela s’appelle fumus persecutionis, et il existe plusieurs précédents dans des demandes précédemment refusées. Aucune d’entre elles n’est comparable à celle-ci. à laquelle sont confrontés le président et les conseillers en exil. Il n’y a pas de précédent qu’un tribunal d’un État de l’Union qui, avant même que la pétition, soit résolue  ait déjà violé les droits des trois eurodéputés, les empêchant avec un mandat d’arrêt de se déplacer librement dans l’État espagnol, alors qu’ils peuvent le faire dans le reste des États membres. Comment les membres de la Commission des Affaires Juridiques interprèteront-ils cette situation ? Et le rapporteur, Dzhambazki ?

Ils peuvent alléguer que la Cour suprême espagnole est compétente pour effectuer la demande de levée d’immunité parce que cela est indiqué dans ce document du Parlement européen sur les procédures d’immunité et les organes compétents dans chaque état. Mais pour les juger en dernière instance ? Quel poids aura la sentence de la justice belge refusant l’extradition de Lluís Puig car ses droits fondamentaux ont été violés en concluant que la Cour suprême n’était pas la juridiction compétente pour le juger, invoquant la résolution du groupe de travail des détentions arbitraires de l’ONU ? Ne serait-ce pas un indicateur de motivation politique, de fumus persecutionis ?

Et le délit de sédition dont ils sont accusés est un argument de plus. Le fait qu’il s’agisse d’un délit de nature politique et qu’il n’ait pas d’équivalent (du moins pas si sévère en punition) dans les autres systèmes juridiques européens devrait également être un motif de refus, fumus persecutionis. Ou d’accorder la demande de levée de l’immunité parlementaire pour un délit, le détournement de fonds publics, mais pas pour celui de sédition, ce qui serait règlementairement possible ? Vont-ils le faire ? Que proposera l’eurodéputé bulgare qui a attaqué avec des pétards les manifestants dans son pays ? La trame politique et juridique qui s’est construite autour de la Commission des Affaires Juridiques laisse envisager une acceptation de la demande de levée de l’immunité. Mais il restera encore le vote, non seulement de la commission, mais aussi de la plénière du Parlement européen. Quels seront les votes des eurodéputés des différents groupes s’ils sont secrets ? Et surtout, quel sera l’impact que cela aura pour l’Etat espagnol et les conséquences judiciaires de portée européenne qu’une levée de l’immunité  pourrait déclencher ultérieurement?