La Question de la Catalogne

(seconde partie de la brochure de la commission internationale d’Ensemble ! sur la situation internationale : « Des espaces en tension » – Automne 2020 – note n°7)

Le surgissement de la question catalane à l’automne 2017 fait suite à une riche histoire nationale et à un « procès » ouvert en Catalogne dès juillet 2010 sous l’impulsion de mouvements citoyens, culturels et sociaux à échelle de masse (ANC, Omnium puis CDR). Il s’agit bien d’un processus d’autodétermination, dans l’Etat espagnol et à l’échelle de l’UE, et d’une réactivation de ce qu’on a longtemps appelé « la question nationale » ou « nationalitaire » au XX°siècle.

Ici, ce processus a connu un cycle de mobilisations et d’accumulation de forces, débouchant sur l’automne catalan de 2017. Les manifestations de masse, son ancrage populaire et la polarisation de la société catalane autour de l’exigence de l’auto-détermination et de l’indépendance s’est exprimée dans la rue, dans les urnes et dans les institutions. Cette exigence est partagée par une légère et fragile majorité de la population mais contestée par une forte minorité de celle-ci. Durant cette phase ascensionnelle, la dynamique du « procès » s’est exprimée de manière multiforme : culturelle, sociale, politique. Trois forces politiques principales l’ont représentée : la droite catalaniste historique de Pujol et Puigdemont -de plus en plus distant avec le pujolisme et évoluant vers l’indépendantisme- qui représente une partie éclairée de la bourgeoisie catalane, l’ERC -la gauche républicaine catalane, la plus encline au compromis avec l’Etat espagnol- et, dans une moindre mesure sur le plan électoral, la gauche alternative indépendantiste de la CUP.

La violence de la répression de l’Etat espagnol -issu d’une « transition démocratique » qui a en réalité préservé l’héritage franquiste dans une partie de l’appareil d’Etat, particulièrement dans la justice, et cadenassé les institutions- s’est ajoutée à un contexte de crise politique et de discrédit très profond d’une représentation politique -à droite surtout mais aussi du côté du PSOE- rongée par la corruption et objet du rejet des politiques d’austérité de l’une et de l’autre.

Les épisodes des condamnations -une répression sans précédent depuis la « transition »-, de l’exil et des procès d’une partie des dirigeant·es indépendantistes ont marqué les esprits et contribué au surplace dans le rapport de forces et dans le déploiement de la mobilisation populaire en Catalogne. Mais surplace ne veut pas dire inversion de ce rapport de forces.

Le « procès », s’il est toujours vivant, marque donc le pas, faute de perspectives et d’une majorité plus nette comme point d’appui.

Cette situation de surplace met à nu les incertitudes stratégiques du camp de l’autodétermination et de l’indépendance catalanes. Ces incertitudes, déjà perceptibles en phase ascensionnelle, expliquent les tensions internes du camp catalaniste, de plus en plus divisé entre le réformisme illusoire -dans ses tractations avec le gouvernement socialiste-PODEMOS-, sans résultat tangible et sans perspective de l’ERC d’une part, et l’affaiblissement et la faible lisibilité du projet de la droite catalaniste d’autre part. Il A cela s’ajoute le poids à la fois bien réel mais encore insuffisant d’une CUP divisée, dont les propositions s’appuient sur le mouvement social et culturel et sont souvent reprises en retour par celui-ci.

La passe difficile actuelle peut aussi être l’occasion, notamment pour l’aile radicale du « procès », de s’interroger sur la perspective de la « république catalane » -qui ne prenne pas nécessairement la forme d’un Etat catalan à l’ancienne-, la stratégie pour y parvenir et le contenu social et écologiste, féministe et autogéré que veut donner à cette république une partie de l’aile radicale du « procès ». Une république conçue, rappelons-le, comme « ouverte à toutes et tous », aux antipodes de toute conception nationaliste « ethnique » et dans un cadre à la fois européen et euro-méditerranéen.

Lettre ouverte à Pablo Hasel

Après trois jours de movilisations pour l’emprisonnement de Pablo Hasel, Jordi Cuixart, en prison depuis trois ans et quatre mois , lui adresse des mots dans cette lettre publiée par El Salto et La Directa.

Jordi Cuixart . Ex-président d’Omnium Cultural en prison depuis 3 ans
19 février 2021

Carissimo Pablo,

Avec ce superlatif, Gramsci commença toutes les lettres à Tatiana; c’est l’une des premières choses que j’ai découvertes à Soto del Real il y a plus de trois ans. Je t’embrasse depuis la cellule, convaincu qu’ils ne t’ont pas mis en prison dans ton intérieur.

Ponent (note de traduction : Prison de LLeida où est incarcéré P Hasel) est à 120 kilomètres de Lledoners (note de traduction : Prison de Barcelone où est incarcéré J Cuixart), mais au fond, toutes les prisons du monde sont au même endroit, dans la partie la plus obscure du système, où personne ne veut regarder, car c’est là que réside la mère de toutes les injustices. Mais c’est ici aussi qui se rassemblent des tonnes d’humanité, presque impossibles à trouver au-delà des murs.

En 2018, lorsque nous avons présenté « Demà pots ser tu » note de la traduction : « Demain c’est peut-être toi), les avocats d’Òmnium m’ont expliqué que tu participais à la campagne. Et je me souviens que j’étais très excité, car pour l’aîné de mes deux enfants, tu as toujours été l’un des rappeurs référents, et cela nous a un peu plus unis.

La prison regorge d’apprentissages, et je suis convaincu que cela vous rendra encore plus rebelle de savoir de première main comment les inégalités s’acharnent sur de bon nombre de nos compagnons de module. Assumer les conséquences de ses propres actes pour dénoncer ceux qui emprisonnent la protestation et la dissidence politique (et culturelle) est aussi une raison pour donner un sens à nos vies. Pour transformer la frustration en lutte pour l’espoir.

La liberté d’expression est défendue en l’exerçant. En plein XXIe siècle, quand l’État espagnol se consolide en menant le classement de la répression artistique, devant l’Iran et la Turquie, comme le souligne Freemuse, tu as décidé d’utiliser ta situation comme une caisse de résonance, et cela mérite une reconnaissance absolue.

La police entre à l’université pour arrêter et emprisonner un chanteur, pendant que le fascisme ravive la haine dans les rues, devant les tribunaux, sur les réseaux sociaux et dans les parlements, en même temps que les crimes de haine contre les personnes LGTBI se multiplient, comme le rapporte l’Observatoire contre l’homophobie. Xavier Vinader (note de traduction : journaliste d’investigation) l’a déjà dit: « L’Etat ne voit pas l’extrême droite comme un danger, mais comme une collaboration nécessaire ».

Le fonctionnement des pouvoirs de l’État contre la dissidence est permanent et ne s’arrête malheureusement pas à ton emprisonnement. En fait, des condamnations comme celle de la Cour suprême du 1er octobre donnent carte blanche pour la persécution des droits et libertés de tous les citoyens. Ton emprisonnement, comme celui de Dani Gallardo ou des camarades d’Altsasu, sont les mêmes visages d’une vague qui somme également environ 3000 poursuivis dans la lutte pour l’autodétermination.

Mais que personne ne l’oublie: cette répression vient de loin. Parce que le dictateur est mort au lit et, tant que justice n’est pas rendue aux crimes du régime franquiste, l’État est condamné à vivre avec ses propres fantômes. Aujourd’hui, le fascisme n’a pas quitté les structures du pouvoir étatique et, pour commencer, Felipe VI représente l’héritage franquiste et est prêt à tout pour ne pas perdre les privilèges hérités de son père et du régime de 1978.

“Nous agissons plus en condamnant les injures à la couronne que condamner les injures de la couronne”, a reconnu l’actrice Ana Milán alors que la voiture t’emmenait. Il est clair qu’il serait imprudent d’accepter docilement la crise démocratique et sociale que nous traversons, ainsi que l’urgence climatique, le patriarcat et les ravages d’une pandémie mondiale. Car en plus d’être le seul état de l’Union européenne auquel Amnesty International réclame la libération des militants, l’Etat espagnol mène aujourd’hui un autre triste classement, celui de 40% de chômage des jeunes. Ils croient que les jeunes resteront chez eux et renonceront à se battre pour leur avenir?

Lorsque le droit fondamental à une vie digne est violé, nous n’avons d’autre choix que de cultiver le respect des droits humains, même en dehors de la loi. Après tout, souligner ses lacunes est le meilleur service que nous puissions rendre en démocratie. La pression citoyenne est avant tout une garantie contre l’immobilité de l’état de droit, car aucune société n’est libre sous des lois auxquelles elle ne reconnaît aucune légitimité.

Et, comme l’a expliqué Howard Zinn, si nous obéissons tous à la voix de la conscience, le chaos ne se produit pas, mais ceux qui répriment le font déjà en suivant leur propre conscience. Précisément pour cette raison, au lieu de préserver la création, qui nous stimule et nous donne du pouvoir, au milieu d’une spirale régressive, l’état se consacre à emprisonner la culture.

Ainsi, face à la peur des rappeurs, des urnes ou des militants culturels, la seule réponse est de recommencer. Tout comme font l’ami Abel Azcona ou la journaliste Helena Maleno après instructions et plaintes; nous devons continuer à exercer les droits poursuivis chaque fois que cela soit nécessaire et où que ce soit.
Mon cher Pablo, résiste. Tu sais que tu as le soutien de milliers et de milliers de personnes qui ne cesseront jamais d’exiger ta libération immédiate. Et, de plus, tu as fait que beaucoup de gens, et quelques artistes qui regardaient ailleurs pendant trop longtemps, élèvent leur voix contre la loi du bâillon.
Le seul combat qui est perdu est celui qui est abandonné, alors, quoi qu’il arrive, n’oublie pas de respirer et que liberté intérieure, même s’ils nous enferment longtemps dans la cellule, personne ne pourra jamais nous l’enlever. Et c’est aussi notre victoire.
Reste libre et ayons du courage.
Siempre hacia adelante !

Minorité nationale : changement de paradigme ?

Jaume Lopez

ARA.cat                 30/11/2020

La protection des minorités nationales n’a jamais été en rapport avec l’indépendance

Ces derniers temps, plusieurs voix se sont élevées pour souligner la nécessité de lier la soi-disant cause catalane aux droits des minorités nationales. Les allégations dans ce sens de l’avocat Gonzalo Boye dans la défense du président Torra en sont un échantillon. La Catalogne est-elle une minorité nationale ? Une nation ? Une communauté politique sous-étatale ? Depuis quelle approche faut-il défendre le processus de souveraineté? En faisant appel au droit des minorités nationales?, au droit à l’autodétermination?, au droit de décider?

D’abord, il faut dire qu’il peut difficilement en résulter des revendications exclusives, mais plutôt complémentaires qui impliquent des paradigmes de légitimité différents et surtout qui mettent l’accent sur des cadres juridiques et institutionnels différents. Si, par exemple, nous voulions dénoncer le rejet de polluants dans une rivière, nous pourrions le dénoncer aux autorités environnementales comme une attaque contre l’environnement et la biodiversité, mais aussi, certes, nous pourrions souligner l’infraction du droit à la santé devant les autorités sanitaires et, même, le cas pourrait être porté devant le ministère de l’Industrie en soulignant la faute professionnelle et le non-respect des processus de qualité dans la fabrication et le traitement des déchets.

Tous ces canaux seront complémentaires, à moins que la plainte de l’un d’eux n’exclue les autres, ce qui ne se produit généralement pas s’ils sont conduits dans différentes institutions (agence de l’eau, plainte auprès de la justice pour atteinte à la santé, bureau de la qualité industrielle).

Quelque chose de semblable peut se produire avec les diverses appelations dans la cause catalane, possiblement il n’y en aura pas une intrinsèquement meilleure que les autres, mais peut être qu’elle résonnera plus dans les diverses institutions et formes de légitimité. Et, d’autre part, avec des pro et des contre diverses, qui vaut la peine de prendre en compte. Ou du moins distinguer conceptuellement.

On pourrait comprendre que la « minorité nationale catalane » est composée de la moitié des habitants actuels de la Catalogne.

D’une manière générale, le droit à l’autodétermination a l’avantage qu’il s’agit d’un concept universel bien connu qui fait appel au droit de toutes les nations de devenir des États, ou du moins c’est ainsi qu’il est perçu dans l’imaginaire collectif. L’inconvénient est que, dans la jurisprudence internationale, il a été distingué entre l’autodétermination interne (autonomie gouvernementale au sein des États) et l’autodétermination extérieure (indépendance) et il a été interprété qu’elle ne peut être revendiquée devant l’ONU que dans les processus de décolonisation. Par exemple, dans le cas du Sahara Occidental. La Catalogne serait laissée de côté dans cette perspective, bien que cette délimitation progressive du droit mentionnée dans le premier article de la Charte des Nations Unies puisse être discutée.

Le droit de décider, si important chez nous, a l’inconvénient qu’il s’agit d’un concept et non d’un droit reconnu dans aucun document juridique. Il veut faire référence à la perspective de la fameuse décision de la Cour suprême du Canada selon laquelle, dans une démocratie, il devrait être possible de répondre aux revendications en faveur de l’indépendance d’une partie du territoire si celles-ci sont exprimées démocratiquement et clairement. Dans cette perspective, c’est la composante démocratique et la lecture ouverte de la Constitution qui légitiment l’appelation. Rappelons que le Québec a tenu deux référendums sur l’indépendance (1980, 1995) avant d’être reconnu comme nation par le Canada (2006) et que la composante nationale est étrangère à l’argumentation de la Cour.

Enfin, la protection des minorités (nationales, ethniques, linguistiques, culturelles…) n’est pas seulement présente dans plusieurs traités internationaux, mais, comme le souligne l’avocat Boye, elle se trouve également dans l’article deux du traité de l’Union européenne. Les minorités doivent souvent être protégées de la discrimination ou de la dictature de la majorité. Et sans aucun doute, la catalanophobie et l’absence de réponses adéquates pour un bon accomodement et une bonne gestion de la diversité interne peuvent être des exemples de infraction des droits des minorités nationales de l’État (espagnol). Néanmoins, d’un point de vue international, leur protection n’a jamais été liée à l’indépendance, mais, d’un point de vue politique, à l’autodétermination interne. Un autre inconvénient est la possible déterritorialisation de la demande, étant donné que c’est aux membres des minorités qu’on veut donner protection en premier lieu. En d’autres termes, quelqu’un pourrait comprendre que la « minorité nationale catalane » est composée de la moitié des actuels habitants de la Catalogne.

En Catalogne, entre 2006 et 2016, le cadre hégémonique était le droit de décider ; avec l’horizon du référendum, il est allé vers le droit à l’autodétermination. Sommes-nous confrontés à un nouveau changement de paradigme? Au-delà des stratégies internationales et juridiques, il est également nécessaire de jetter un œil sur le cadre conceptuel que chacune de ces voies implique dans la politique intérieure et dans l’interprétation et la socialisation des revendications légitimes.

Émancipation et droit des peuples à l’autodétermination par Arno Münster

Samedi dernier, le 26 octobre 2019, 350 000 personnes ont encore manifesté au centre de Barcelone pour l’indépendance et la libération des prisonniers politiques lourdement condamnés le 14 octobre par le Tribunal Suprême de Madrid pour le délit de « sédition » et de « détournement de fonds publics. » Aujourd’hui, c’est incontestablement la CATALOGNE qui, depuis la déclaration unilatérale de l’indépendance par le gouvernement régional de Barcelone, le 27 octobre 2017, et après la grande vague de répression contre les dirigeants catalans, déclenchée par le gouvernement conservateur espagnol dirigé par M. Rajoy, à la suite de cet événement, attire de plus en plus l’attention de l’opinion publique européenne et mondiale. Ce conflit est évidemment le résultat, le produit de la collision frontale de deux visions et stratégies politiques tout à fait antagoniques : 1) celle d’un gouvernement espagnol qui, tablant sur la Constitution de l’année 1978, qui avait accordé aux régions basque, catalane et galicienne le statut d’une autonomie « spéciale » élargie, tout en leur interdisant l’indépendance, persévère à traquer impitoyablement, avec la justice et les forces de police, toutes les organisations catalanes revendiquant l’indépendance, tout en les criminalisant et les persécutant par tous les moyens d’un soi-disant « État de droit » qui ne sont, en réalité, que ceux d’une Monarchie constitutionnelle portant encore un certain héritage du franquisme et manifestant en conséquence une « tolérance zéro » à l’égard des mouvements catalans bataillant depuis de longues années pour l’émancipation non seulement régionale, mais aussi nationale ; et 2) celle d’un mouvement catalan indépendantiste défendant, avec des moyens exclusivement pacifiques, l’application du « droit de décider » (dret a decidir) à la Catalogne, précisément au nom du droit des peuples à l’autodétermination, un droit inscrit en grand dans la Charte des Nations Unies et figurant aussi dans la Déclaration des Droits de l’Homme de l’année 1948. C’est le refus de tous les gouvernements espagnols en place, depuis la mort du dictateur Francisco Franco, en 1975, qui a en effet créé cette grande tension entre ces deux visions antagoniques, et c’est ce refus total de dialogue du gouvernement central espagnol, aujourd’hui celui du gouvernement dirigé par le socialiste Pedro Sánchez (PSOE), avec les leaders catalans, qui bloque en effet toute issue raisonnable à la crise actuelle, de la plus grande crise politique intérieure que l’Espagne connaît depuis le retour officiel à la démocratie, après 46 ans de dictature fasciste (franquiste). Une formule revient régulièrement, dans les déclarations officielles des divers gouvernements espagnols (conservateurs ou socialistes) : l’attachement à l’État de droit, à la loi et à la démocratie. Mais était-il « démocratique » d’envoyer, comme l’avait fait le gouvernement conservateur de M. Rajoy, en octobre 2017, la police nationale et la Guardia Civil contre les gens qui faisaient patiemment la queue, le 1er octobre 2017, devant les bureaux de vote de la Catalogne pour s’exprimer – par un vote démocratique – sur la question de l’indépendance ? Était-il « démocratique » de les matraquer, de les disperser, de les empêcher par la force physique de se rendre aux urnes, dans le cadre d’une consultation électorale organisée par la Generalitat de Catalunya ? Était-il « démocratique » de saisir les urnes et les bulletins de vote ? Était-il « démocratique » de destituer le gouvernement catalan démocratiquement élu et son président Carles Puigdemont pour le « délit » d’avoir organisé ce référendum où 90 % des votants ont voté en faveur de l’indépendance ? Était-il « démocratique » d’arrêter dans les jours et semaines suivantes autant de représentants des partis et associations catalanes, et parmi eux Jordi Cuixart, le président de l’association catalane « Omnium Cultural », et Jordi Sànchez le président de l’ANC (Assemblée Nationale Catalane) et de les emprisonner, pendant de longs mois, en détention provisoire ? Ce sont apparemment des actes indignes d’une démocratie « libérale », et même si ces excès de répression politique sont officiellement justifiés par le recours à l’article 155 de la Constitution espagnole, ils attestent un manque total de compréhension pour les partisans de l’indépendance de la part d’un gouvernement qui, ayant de plus en plus de mal à gérer la crise catalane, a choisi de se réfugier, à l’instar du gouvernement conservateur précédent, dans une politique de répression. En outre, le fait que la population de la Catalogne est en effet divisée en deux camps et que les partisans de l’indépendance ne totalisaient que 48 % des voix (mais ayant quand même obtenu la majorité absolue des sièges au Parlement de Catalogne à Barcelone) aux dernières élections régionales de décembre 2017, n’arrange pas vraiment les choses.

En organisant, en février 2019, devant le Tribunal Suprême de Madrid, un Procès politique spectaculaire, à savoir le « Procès des 12 dirigeants catalans », un procès qui n’était pas « équitable », puisque on y a vu des représentants du parti d’extrême droite espagnol « Vox » siéger comme « accusateur populaire » aux côtés du Procureur général, tandis que de nombreux observateurs de gauche n’étaient pas autorisés à y assister, la Justice espagnole a encore aggravé la crise, en condamnant, le 14 octobre dernier, par un verdict très discutable, neuf des accusés catalans à des peines de prison de 9 à 13 ans ! En condamnant Oriol Junqueras, le vice-président du gouvernement de la Catalogne (en 2017), à 13 ans de prison (!), cette Justice a bien montré sa volonté d’humilier, de manière assez spectaculaire, un leader catalan et le peuple catalan tout entier « pour l’exemple », en se vengeant directement, par l’octroi d’une peine très lourde, sur la personne d’un de ses leaders les plus populaires. La grande vague spontanée de protestations qui a secoué la Catalogne, dans la soirée du 14 octobre et pendant les jours suivants, à Barcelone, à Gérone, à Tarragone et à Lleida, a pourtant révélé qu’avec ce procès, ces condamnations et ce verdict, l’Espagne a franchi une autre étape dans l’escalade, au lieu de chercher une solution équitable par la voie de la négociation. Mais cette crise, cette exacerbation du conflit aigu entre le pouvoir centraliste espagnol et les partisans de l’indépendance, a aussi révélé l’existence d’une résistance populaire de plus en plus forte à cette vague de répression, portée par de larges secteurs de la jeunesse, es étudiants, les jeunes ouvriers et une partie des classes moyennes, qui, avec ces protestations, par exemple l’occupation de l’aéroport El Prat de Barcelone, et les grandes manifestations de rue à Barcelone et les autres grandes ville de la Catalogne, ont aussi voulu envoyer un signal fort à l’Europe et aux instances européennes pour que l’Europe reconnaisse enfin la légitimité du combat des Catalans pour l’indépendance, pour le droit et pour la démocratie, au lieu de se coucher devant le « véto » espagnol (Il est tout à fait inadmissible que les dirigeants catalans qui ont été démocratiquement élus aux dernières élections européennes de mai 2019, aient été empêchés de siéger au Parlement européen de Strasbourg. Ils doivent être admis, ils doivent y siéger, comme tous les autres eurodéputés des autres pays de l’UE).

Certes, il y a eu aussi, au cours de ces dernières grandes manifestations en Catalogne, des violences et des exactions de la part de quelques groupes ultra-militants très minoritaires, mais dans l’ensemble, ces manifestations contre l’extrême sévérité des verdicts contre les leaders indépendantistes ont été pacifiques, n’exprimant rien d’autre que la juste colère du peuple catalan contre l’injustice la négation officielle de leurs revendications par les dirigeants de Madrid. L’Europe devrait enfin sortir de sa « réserve » pour tenter une médiation, en reconnaissant enfin non seulement de jure, mais de facto (ce qui n’est, malheureusement, pas le cas du gouvernement espagnol actuel), le droit des peuples à l’auto-détermination.

Ce combat en Catalogne pour la liberté, la démocratie et pour l’émancipation nationale est loin d’être terminé. Il n’entre que dans une phase nouvelle… Mais pour réussir, ce pays a besoin de l’aide et du soutien de tous les autres pays européens, des démocrates et citoyens critiques et engagés de tous les pays de l’Union Européenne…

 

Arno Münster, philosophe, essayiste, maître de conférences honoraire de philosophie de l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens, membre du Collectif des Alpes-Maritimes de solidarité avec le peuple catalan.

Nice, le 27 octobre 2019.

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Intervention de Marie-Pierre Vieu, députée européenne 2017–2019

Fête du Château – Nice 2019

Débat « Catalogne, Espagne : Situation actuelle. Quelle issue politique ? »

Dimanche 30 juin 2019

Intervention de Marie-Pierre Vieu, députée européenne de 2017 à 2019, membre du PCF

Au lendemain du référendum sur l’indépendance de la Catalogne du 1er octobre 2017, atterrée par les images de violence que j’avais découvert à la TV, j’ai décidé de m’engager sur toute initiative parlementaire qui ferait valoir la voix de la souveraineté populaire face à la répression organisée.

Je ne suis pas indépendantiste, mais il m’est apparu impensable que la réaction de l’État espagnol face à la crise catalane, la violence de rue comme institutionnelle avec le recours à l’article 155 au mépris du dialogue et la démocratie deviennent le standard européen. C’est pourquoi il était urgent d’agir.

La plateforme de dialogue Union européenne – Catalogne est née quelques semaines plus tard. Nous en avons présenté les objectifs à Bruxelles lors d’une conférence de presse le 29 novembre 2017, son objectif principal étant de favoriser un règlement politique entre Madrid et Barcelone. À sa création, nous étions vingt-six députés européens, essentiellement des indépendantistes, mais également des écologistes, des communistes et des alternatifs. Parmi eux, deux Français de la même région d’Occitanie : José Bové et moi-même. J’ai très vite trouvé ma place dans ce groupe et j’en suis devenue un élément moteur.

Avec le recul que j’ai aujourd’hui sur mon mandat, je me rends même compte que cette bataille a été l’un des fils conducteurs de mon action d’eurodéputée communiste. L’Europe traverse une crise de l’État-nation. Cette question est au cœur du conflit catalan et face à lui, l’Union européenne se révèle incapable de peser positivement.

Son silence signifie un soutien de fait au pouvoir central espagnol, ce qui doit nous interroger sur le dysfonctionnement de nos institutions. Celles-ci laissent de moins en moins de place à la sphère citoyenne, stigmatisent l’action et les luttes sociales et tout est fait pour confiner l’eurodéputé dans un rôle de spécialiste et à en faire un quasi fonctionnaire européen, tandis que les lobbys sont rois ! Ce qui se passe en Catalogne fait jurisprudence et rappelle à bien des égards l’acharnement politique du gouvernement Macron/Philippe contre le mouvement des Gilets jaunes… C’est en tout cela que, pour moi, la question catalane est d’abord celle de la place de la démocratie dans une Europe dévolue à la concurrence libre et non faussée.

J’ai participé à ma première initiative de la plateforme Catalogne en me rendant avec six autres eurodéputés à Madrid le 19 décembre 2017 pour rencontrer les prisonniers politiques catalans enfermés à Madrid. Mais l’accès à la prison nous a été refusé, justifié par une série d’obstacles administratifs.

Il m’a fallu attendre le 7 septembre 2018 pour rencontrer les prisonniers politiques catalans aux centres de Lledoners et de Figueres. J’y suis retournée une deuxième fois le 30 novembre 2017 toujours à Lledoners. Je me rappelle que la première rencontre se déroulait par une journée d’été et que les responsables catalans étaient en tee-shirt et bermuda. Il planait dans la salle où nous nous sommes entretenus une sorte de joie. Eux de nous voir, de nous parler ; nous de les écouter, de tenter de saisir comment leur être utiles. J’ai été « bluffée » par la gentillesse des « Jordis », Jordi Sanchez, président de l’Assemblée Nationale Catalane et Jordi Cuixart, président d’Omnium Cultural, et par l’énergie de Raul Romeva, par la retenue de Joaquim Form, par la force d’Oriol Junqueras et par leur réflexion à tous. Ce n’est que l’après-midi, lors de ma visite à Dolors Bassa, que j’ai entrevu la souffrance de l’incarcération, l’acharnement du pouvoir et sa capacité de destruction. Contrairement aux hommes, les femmes étaient isolées. Dolors Bassa conjurait le sort en apprenant à lire à ces codétenues. Elle nous a parlé de la force que lui donnait notre mobilisation, du mal que pouvait lui faire l’accusation de détournement de biens publics qui lui était faite (car ayant permis de tenir le référendum dans des écoles publiques…). Avec elle, j’ai pu mesurer les effets de la répression du pouvoir.

Je les ai revus quasiment tous ainsi que Carme Forcadell, le 28 février 2019 car présente ce jour-là toujours avec la plateforme Catalogne, à une audience de leur procès. Un procès à charge où la justice donne lieu à une entreprise de démolition politique et humaine qui m’a renvoyé quelques décennies en arrière à l’heure du franquisme….

Il n’empêche que la mobilisation s’encre et s’élargit même. Je voudrais signaler ici le point d’appui que constitue pour cela le manifeste que viennent d’adopter 41 sénateurs français réunissant des élus de divers bords, emmenés entre autres, par le sénateur communiste Pierre Ouzoulias ainsi le parlementaire des Pyrénées-Orientales François Calvet relayant les prises de position du conseil départemental de son département au sein duquel mon camarade et ami vice-président du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales, Nicolas Garcia. Il vient attester aussi de la fébrilité du gouvernement espagnol sur le sujet qui n’hésite pas à exercer des pressions personnelles et directes sur les élus français via son ambassadeur en France pour les dissuader de s’engager.

Le pouvoir Macron est d’ailleurs perméable à cette offensive. En témoignent les propos de Nathalie Loiseau, encore ministre française des Affaires européennes, estimant qu’aucun parlementaire français « n’avait à s’immiscer » car « c’était un sujet qui relevait de la responsabilité de l’Espagne ». Bien sûr cela est absurde nous sommes bien sûr sur le créneau de la condamnation d’une atteinte à la liberté d’opinion et aux libertés fondamentales dans une nation avec laquelle nous partageons une frontière.

« Nous dénonçons les répressions dont sont victimes des élus légitimes, représentants politiques de la Généralité de Catalogne, emprisonnés ou forcés à l’exil pour leurs opinions dans l’exercice des mandats que leur ont confiés les électeurs » est-il écrit dans le texte des parlementaires français et il est vrai que chaque minute de plus passée par ces hommes et ces femmes en prison est une atteinte supplémentaire aux Droits de l’Homme indigne d’une Europe terre des hommes.

Je suis bien consciente que le lendemain des Européens malgré l’élection de plusieurs prisonniers, l’immense mobilisation prévue mardi 2 juillet aux portes du Parlement européen à Strasbourg va être difficile. D’abord parce que la situation intérieure à l’Espagne se radicalise comme on a pu le voir ces dernières semaines à Barcelone et que pour ma part je trouve dommageable que ne puissent pas converger les forces de la transformation sociale et les indépendantistes autour de l’exigence souveraine d’une consultation populaire, d’avancées sociales et écologiques. Ensuite parce que le rapport de force au sein de l’Union européenne et le nouveau compromis qui est en train de s’instaurer entre droite, social-démocratie et écologistes visent à accentuer une pression libérale qui ne tolérera pas les contestations.

C’est pourquoi le travail engagé doit se poursuivre et qu’il est un enjeu à démultiplier les initiatives pour faire évoluer les opinions publiques. Je ne pourrai pas être présente ce jour car engagée et je m’en excuse, mais par la voix de mes camarades des Alpes-Maritimes je tiens encore à dire toute ma solidarité et ma disponibilité pour continuer ce combat.

L’indépendance de la Catalogne : boîte de Pandore ou nouvelle invention démocratique ? – Hervé Andrès

Depuis quelques mois, les Européen·ne·s découvrent l’émergence d’une aspiration de la Catalogne à son indépendance vis-à-vis de l’Espagne. Pour les Français·e·s ne connaissant pas les spécificités de l’histoire et les réalités contemporaines spécifiques de l’Espagne et de la Catalogne, le problème catalan est sans doute incompréhensible. Tout·e Catalan·e vivant en France a sans doute vécu de grands moments de solitude quand des ami·e·s se rendent à Barcelone : « Je vais en Espagne, on va se régaler de tapas, de jambon, de gazpacho, faire la fiesta, la sieste, visiter la Sagrada Familia… ». « Ah, tu vas en Catalogne ? ». « Oui, je vais en Espagne à Barcelone mais il faut que je révise un peu mon espagnol, amigo ! ».

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